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26 octobre 2015 1 26 /10 /octobre /2015 14:15
Anthea Bell, la « traductrix » historique d’Astérix

Anthea Bell l’a fait. Elle est même la seule traductrice à avoir adapté la totalité des 36 albums d’Astérix dans une même langue. Le dernier, Le Papyrus de César, de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad (les nouveaux auteurs de la série), n’a pas échappé à son examen : «C’est un album qui n’a pas été facile à traduire, dit-elle, ce qui est plutôt bon signe » quant à sa qualité.

On ne s’attaque pas à un monument aussi complexe linguistiquement qu’Astérix sans se rappeler la nature même de son métier. « Si on préfère l’esprit à la lettre, traduire Astérix n’est pas impossible, affirme Anthea Bell. Même pour les jeux de mots, il y a toujours moyen de trouver quelque chose de semblable, à défaut d’être exact. »

Un calembour n’en est plus un dès lors qu’il est traduit littéralement : l’ancienne élève du Somerville College d’Oxford (où passèrent Indira Gandhi et Margaret Thatcher) s’est adossée à cette conviction pendant plus de quatre décennies afin de s’autoriser une liberté littéraire qui pourrait presque lui conférer le statut de coauteure de la série dans sa version anglaise.

Son apport le plus notable concerne probablement les noms des personnages. Si Obélix et Astérix ont gardé le leur (asterisk et obelisk existent en anglais), Anthea Bell a dû rebptiser quelque 400 protagonistes. Le barde Assurancetourix est ainsi devenu Cacofonix – l’équivalent anglais d’assurance tous risques (all risk insurance) n’offrant aucun potentiel humoristique. Pour les mêmes raisons, le chien Idéfix a été baptisé Dogmatix outre-Manche, et le chef Abraracourcix à l’embonpoint généreux s’appelle, lui, Vitalstatistix (vital statistics signifiant notamment mensurations).

La trouvaille la plus osée d’Anthea Bell reste toutefois Getafix, le nom anglais donné au druide Panoramix. Dans le langage des consommateurs de drogue, « to get a fix » signifie « avoir sa dose » – de là à considérer les Gaulois « camés » à la potion magique, le pas est un peu rapide… « J’aurais pu garder Panoramix vu que l’adjectif panoramic existe aussi en anglais, mais je n’ai pas pu résister à faire ce jeu de mots. »

Imaginait-elle arriver un jour à ce niveau de créativité quand, à la fin des années 1960, un éditeur spécialisé dans la littérature de jeunesse, Brockhampton Press, lui a proposé de traduire Astérix ? C’était dix ans après le lancement en France de la série. « Personne n’avait osé publier ce personnage trop français pour amuser les anglophones », se souvient-elle.

Conscient de la difficulté, Brockhampton Press l’avait alors associée à un professeur de français, Derek Hockridge, dont la mission était d’identifier les références à la culture et à l’actualité françaises dans les albums originaux. Les premiers problèmes ne tarderont pas à surgir.

Après Astérix le Gaulois (Asterix the Gaul) et Astérix en Hispanie (Asterix in Spain), le duo part à l’assaut d’Astérix chez les Bretons (Asterix in Britain) dont l’action se déroule… en Grande-Bretagne. Une mise en abyme vertigineuse attend les deux experts. Dans la version originale, les Bretons s’expriment dans un français truffé d’idiotismes anglais : « Il est, n’est-il pas ? », « Je suis très reconnaissant à vous », « Une tasse d’eau chaude avec un nuage de lait, s’il vous plaît »... Inverser le point de vue tout en gardant l’effet comique est impossible. Bell et Hockridge se rendront à Paris pour proposer à Goscinny (qui parlait couramment anglais) leur solution : « L’utilisation d’un anglais précieux et désuet que personne n’a jamais vraiment parlé. »

Contourner l’obstacle, trouver ses propres astuces, tout refaire à sa sauce (à la menthe)… Les deux spécialistes vont s’en donner à cœur joie. Comment traduire le titre du quinzième album de la série, La Zizanie, dans lequel Tullius Detritus, un émissaire de César, sème la discorde au village ? Simple : Asterix and the Roman Agent, en référence à James Bond.

Comment angliciser Ocatarinetabellatchitchix, le prisonnier corse d’Astérix en Corse dont le nom est tiré d’une chanson de Tino Rossi ? Anthea Bell s’est souvenue d’une rengaine de marins peu aimable envers Napoléon (natif de l’île de Beauté), Boney was a warrior, Way-ah-ah. Le personnage s’appellera Boneywasawarriorwayayix – qui dit mieux ?

Souvent, comme ici, la traductrice va devoir puiser dans le folklore et la culture britanniques pour se sortir de casse-tête insolubles. Dans Le Cadeau de César, alors qu’Astérix se bat en duel, elle remplace dans sa bouche la célèbre « tirade du nez » de Cyrano de Bergerac par une réplique d’Hamlet croisant le fer avec Laërte.

Shakespeare est à nouveau appelé à la rescousse pour modifier le nom du chef breton Zebigbos, qui devient Mykingdomforanos – contraction du « My kingdom for a horse » de Richard III. Même l’hymne national britannique sera détourné afin de renommer deux légionnaires romains en Sendervictorius (Send her victorious) et Appianglorious (Happy and glorious…).

Ce goût pour les mots et les jeux qui vont avec, Anthea Bell dit l’avoir hérité de son père, Adrian Bell, un fermier du Suffolk devenu romancier, dont le passe-temps était d’écrire des mots croisés pour le Times. « Il était tout le temps en train de chercher des astuces. Ce qui est un peu mon cas, finalement. Un jeu de mots doit rester un jeu, même quand il s’agit de le traduire », confie cette mère de deux grands enfants (l’un est journaliste, l’autre universitaire).

Astérix n’est qu’une petite partie de son activité. Egalement germanophone, c’est par « centaines » qu’elle a traduit des romans, des essais et des livres pour enfants. Le petit Gaulois reste toutefois sa vitrine. Le job est « assez bien payé », reconnaît-elle, mais sans royalties sur les ventes, ce qui est fort dommage : 23 millions d’albums d’Astérix en langue anglaise se sont vendus dans le monde depuis la première traduction.

Son alter ego Derek Hockridge est mort il y a deux ans, mais Anthea Bell ne compte pas en rester là, à bientôt 80 ans. « J’aime travailler Je continuerai jusqu’à ce que les maisons d’édition ne veuillent plus de moi», dit-elle dans le salon de son cottage, entourée de ses chats sacrés de Birmanie. L’un porte le nom d’un personnage du Conte d’hiver de Shakespeare, Mopsa. Un autre s’appelle Violetta, comme l’héroïne de La Traviata. Aucun n’a été baptisé en référence à Astérix. « Les chats se prennent trop au sérieux », assure la vieille dame.

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